Voyage botanique au Népal
juillet 2002
Carnets de route :
par Michel Lumen, Pépiniériste Collectionneur
Les Pépiniéristes Collectionneurs sont des aventuriers des temps modernes, fidèles à l’esprit de découverte des botanistes d’antan, ils parcourent dès qu’ils le peuvent la planète à la recherche de nouvelles plantes. Didier Fogaras et Michel Lumen, membres de l’Association des Pépiniéristes Collectionneurs, accompagnés d’Annie Lagueyrie, journaliste de jardin, sont partis l’été dernier pour un de ces voyages botaniques au Népal. Un récit qui fait rêver…
— 5 juillet —
Gare de Bergerac. C’est le début des vacances. J’ai 10 mn d’avance. Ce n’est pas le petit pincement des grands départs, mais il y a quand même quelque chose de confus. On laisse quelque chose pour un ailleurs, même si ce n’est pas pour longtemps, ça compte. Attente à Libourne, repérage du quai, c’est facile, y en a que trois…, une bière au bar, toujours le même ivrogne dans toutes les gares, qui tue le temps, sans le voir passer, un peu rigolo, un peu pénible à supporter. Après donc 2 heures et demi d’attente, voilà le TGV qui arrive. Je retrouve Annie. Nous ne prenons pas nos places, mais restons sans encombre dans le compartiment non-fumeur jusqu’à l’aéroport. 4 heures de discussions, bavardages divers. Son nouveau livre sur les graminées, très intéressant, etc. Arrivée à 20 h 30, changement de terminal, arrivée au bon, où nous retrouvons rapidement Didier, le troisième comparse. Enregistrement des bagages, routine, puis bien évidemment direction le bistro pour une attente d’encore 3 heures. Embarquement à bord d’un airbus A 320 de Qatar Airways. C’est la nuit, rien à voir. Je fais le voyage à côté d’une Algérienne, belle jeune femme orientale, qui travaille comme esthéticienne dans le golfe. En fait, je l’avais sentie avant de la voir. Renseignement pris, elle a essayé tous les parfums possibles au duty-free de l’aéroport, ça fait un sacré mélange, résultat garanti pendant des heures !
— 6 juillet —
Nous arrivons tôt le matin à l’aéroport de Doha. Le jour se lève à peine, et la chaleur est déjà étouffante. Les grands bâtiments sont luxueux certes, mais ce n’est pas Dubaï ! Vu d’en haut la ville paraît assez morne. Bon, bref on n’est pas là pour visiter l’Arabie. 38 degrés à 8 heures du matin. Nous attendons un transbordement dans un autre Airbus. Airbus, le nom est bien choisi ! Quand ça décolle, vole, atterrit, c’est d’une régularité incroyable, ronronnement doux des moteurs. Nous voilà repartis. Voyage intégralement dans les nuages, donc aucune vue en arrivant sur l’Himalaya. Nous nous posons à Tribhuvan International Airport, l’aéroport de Katmandou, où, formalités d’usage accomplies, nous retrouvons à la sortie Bijaya (prononcez Bidzéi), notre guide, en pleine forme, le petit jeune. Il nous a retenu le taxi, donc pas trop besoin de se dépatouiller avec la centaine de gars tous venus à la sortie de l’aéroport avec la ferme intention de vous fourguer le taxi et “leur” hôtel, bien sûr le meilleur, best price et eau chaude à tous les étages.
Ça y est, nous voilà en route. Nous longeons le terrain de golf le long des pistes. Nous traversons une partie de la ville par d’infâmes raccourcis. C’est de pire en pire dans la ville. Toujours autant de pollution avec les pots d’échappement qui fument tout noir. Les taudis le long des rues et les boutiques à ras des gaz remplies de gamins qui grandissent nourris au CO2. Nous arrivons à notre hôtel sur Tridevi Marg, où nous posons nos sacs après avoir négocié au mieux le prix de la chambre. Tout de suite, discussion avec Bijaya autour d’un lemon tea pour mettre la dernière touche au trek, déjà prévu dans les grandes lignes.
— 7 juillet —
C’est dimanche, pas jour férié au Népal, et nous avons décidé de nous reposer avant d’attaquer (tout à fait pacifiquement et en douceur) l’Himalaya par la face sud. Après un premier tour dans les quartiers, nous descendons la rue jusqu’à la rivière, en direction de Swayambudnath. C’est le spectacle de tous les petits métiers : vendeurs de fruits à vélo – surtout des Indiens, rickshaws nous poursuivant inlassablement pour nous proposer la balade comme des rois fainéants, laveurs de linge, minuscules épiceries, etc. Du haut du pont, nous sommes au spectacle : de gros cochons noirs vivent en famille à la sortie des égouts, sur les berges en pente de la rivière, s’abritant du soleil sous quelques arbustes. Une multitude de petits cochons, très à l’aise, joue au milieu d’immondices d’une saleté repoussante. Un vieux mâle d’au moins 250 kg paresse sous un gros pied de ricin.
Le site est toujours merveilleux avec les yeux du Bouddha sur le grand stupa, perché sur le haut de la colline, la ronde des moulins à prières. Le monastère est fermé, pas d’office, il est sans doute trop tard. Dommage, le son des gongs, cymbales et grandes trompettes est très émouvant. Après avoir fait le tour du sanctuaire, dans le bon sens, off course, nous redescendons l’immense escalier de pierre, bordé de statues et petits stupas. Nous voilà sollicités à nouveau par les vendeurs installés de chaque côté de l’escalier. Sculpteurs de manis, vendeurs de colliers, couteaux, instruments de culte tantriques, pseudo antiquités diverses, bols chantants, bref, artisanat local. Swayambudnath est également connu comme le Temple des singes. De nombreux primates occupent ce site, les mamans avec leurs petits, ça s’épouille, se chamaille et part en de longues courses. Animaux pas très sympathiques et un peu caractériels. En bas de l’escalier, il y a les petits restaurants tibétains, mais surprise, il manque tout un côté de la rue. Renseignement pris, le gouvernement a décidé de les déloger pour dégager le site. Vu le bordel ambiant généralisé, c’est une mesure surprenante ! d’autant que l’endroit est toujours aussi crado ! Enfin, c’est ce qu’on appelle la protection de l’environnement. Halte obligatoire pour faire connaître à mes collègues les momos tibétains, ces fameux raviolis cuits à la vapeur à déguster avec une soupe à la coriandre, ou un bouillon épicé.
Retour à Katmandou. Dans la rue, une petite échoppe propose des jus de fruits pressés à la demande. Nous buvons successivement grenade, orange, canne à sucre, banane et lassi pour terminer, fabriqué à base de yaourt local. Le soir nous conduit à la librairie Pilgrim, la grande librairie de KTM (Katmandou), et une des plus intéressantes que je connaisse, très fournie en tout ce qui concerne l’Himalaya bien sûr (d’accord, je ne passe pas ma vie dans les librairies, vous en connaîtrez certainement de plus grandes). Là nous trouvons de nombreux bouquins sur un sujet qui nous passionne, je veux dire la botanique. Chaque fois que je viens là, je découvre de nouveaux livres, ou d’anciens car ils font aussi l’occasion.
— 8 juillet —
Départ pour Langtang. 8 Heures. Le Land Cruser Toy est devant la porte de l’hôtel avec le chauffeur, Bijaya et les deux porteurs : Bijaya number two et Ganesh. Le voyage se passe agréablement dans ce véhicule, rien à voir avec les cars locaux certes très sympathiques et permettant de faire un max de connaissances, poulets et chèvres sur le toit, couloir central bondé, et quand il n’y a vraiment plus de place disponible, c’est curieux, mais c’est toujours une vieille qui vous tombe sur les genoux. Malgré la tranquillité de la région où nous nous rendons, c’est à quatre barrages de l’armée ou la police qu’il faut nous arrêter pour contrôles. Dans cette région du Népal, il n’y a rien à craindre de la guérilla maoïste, car nous nous enfonçons dans une profonde vallée desservie par une seule route, et les coups de force sont aléatoires avec le risque de se faire couper les arrières.
Nous sommes en pleine mousson et à la saison des fruits, aussi nous arrêtons-nous dans un petit village pour acheter mangues et petites bananes vertes. Il n’a pas plu depuis deux jours, aussi la route est à peu près sèche, mais il y a eu quelques effondrements de terrain suivis de réparations sommaires. Je me souviens du voyage infernal sur cette même route en bus. Vive la jeep !
Arrêt aux alentours de midi dans un routier, dal bhat traditionnel et bon. C’est le plat national népalais. Une grosse assiette de riz blanc, accompagnée de lentilles jaunes, de quelques légumes souvent à moitié cuits, de pickles bien pimentés et, exceptionnel ! d’un peu de viande au curry, tout cela à volonté. Nous arrivons à Dunche à 15 h 30. Même lodge que d’habitude, sommairement propre, et après avoir monté les sacs au dortoir, et pris le thé maintenant habituel, nous allons faire le tour de ce bourg de 2000 habitants, espèce de préfecture, avec ses maisons, commerces, artisans divers de chaque côté de la route qui continue jusqu’à Syabru. Didier ayant acheté un couteau soi-disant tibétain à Katmandou qui n’était vraiment pas dangereux en profite pour le faire aiguiser chez le forgeron du village. Celui-ci est en train de fabriquer un escalier métallique en colimaçon. Ses deux aides, des gamins de dix ans, coupent manuellement les barres de fer en bandes identiques, le premier tient le burin, tandis que le deuxième le frappe d’un grand coup de masse. Impressionnant et efficace. Un seul coup pour couper les 3 mm de métal. Nous allons ensuite faire un petit tour dans les alentours du village, où nous rencontrons des gamins qui ramassent de belles baies bleu turquoises, légèrement sucrées sur un arbrisseau bas aux feuilles gaufrées. Gaultheria fragrantissima. Une usine d’embouteillage d’eau coréenne s’est installée ici un peu à l’écart.
Le soir, concert musical de l’autre côté de la rue, au Centre Culturel Tibétain. Grands hautbois, cymbales et tambours rythment l’office tard dans la nuit. Très agréable et reposant. Le village est peuplé de nombreux réfugiés, arrivés en masse au Népal après la délivrance du Tibet par la glorieuse armée chinoise.
— 9 juillet —
Réveil à 6 heures, petit déjeuner de chapatis et de curd, sorte de délicieux yaourt très épais fabriqué à partir de lait de vache, buffle ou yack, suivant l’altitude et les habitudes. Il est l’heure de partir et, le thé terminé, nous prenons la route, à pied maintenant, nous allons commencer le trek. Dans la rue, c’est déjà l’agitation. Un camion livre l’eau, les affaires vont bon train, même ceux qui n’ont rien à faire ne font déjà rien. Nous quittons le village, et suivons d’abord la piste qui continue jusqu’à Syabru Besi. De petites plantations de pommiers sont à l’essai dans les champs en espaliers. Nous bifurquons en direction de Syabru. Nous circulons au milieu des champs étagés. Cultures de millet pour le grain et pour la distillation du rakshi, boisson locale dont nous ne manquerons jamais. Débuts floristiques très intéressants. Le beau bleu des Commelina paludosa accompagné de Chlorophytum nepalense est du plus superbe effet, surplombé par quelques orchidées épiphytes, se plaisant aussi bien sur une branche que sur un rocher en surplomb. Les Arisaema sont entourés de Roscoea capitata, tandis que les Hedichyum se bousculent sous Alnus nepalensis et Debregeasia.
Soudain en remontant la piste dans l’herbe humide, une petite merveille. Spiranthes sinensis, magnifique petite orchidée terrestre semblable à nos Spirantes mais d’un beau rose foncé. Dans les parties herbeuses, une abondance de Geranium wallichianum et Iris kamaonensis. Le blé noir, Fagopyrum esculentum, s’est largement échappé des cultures pour coloniser de longues bandes tout au long de la piste. Voici le magnifique Lilium nepalense que nous trouverons assez régulièrement, mais toujours en très petites populations.
Long voyage fatigant pour cette première journée de marche. A midi, nous nous arrêtons dans un lodge isolé où se sont réunis en conseil communal les hommes de la région. Vives discussions, tout le monde n’est pas d’accord, le ton s’élève quand un excité sort son kukhuri, grand couteau de 40 cm de long que tous portent à la ceinture, mais il est rapidement entouré et l’affaire en reste là, son garçon de dix ans le tire par la manche pour le ramener à la maison et la discussion continue.
Arrivée à Syabru par une grande montée. Voici le village avec ses maisons traditionnelles en bois et ses nouvelles constructions de béton, mais où les propriétaires ont inclus l’élément décoratif principal d’une ancienne maison de bois, comme pour ne pas dénaturer complètement leur maison. Je ne suis pas en terre inconnue. Je m’étais arrêté au même endroit lors d’un précédent voyage, et ce sont les mêmes personnes qui nous accueillent : une dame souriante et pleine d’humour, et son mari lama à temps partiel. Ils sont agriculteurs, et ont commencé une culture de plantes médicinales locales destinées à être transformées à KTM pour la médecine ayurvédique. Ce qui permettra de moins arracher de plantes sauvages dans la nature, et leur procurera un complément monétaire non négligeable en montagne.
Bonne table, soupe d’ail, très cultivé en altitude avec oignons et pommes de terres. La nuit fut plus difficile. Quelques Népalais de passage, ayant bu force rakshi, ne s’endormirent pas tout de suite, mais se racontèrent bruyamment des histoires apparemment très drôles une bonne partie de la nuit.
— 10 juillet —
Petit-déjeuner avec pain tibétain, accompagné du fameux thé de même origine. C’est toute une préparation. Dans une haute baratte en bambou, après avoir rincé à l’eau chaude, verser le beurre, salé, rance et de yak, ajouter de l’eau chaude, une décoction de plantes de la montagne, je ne me souviens plus s’il y a du véritable thé, barattez vigoureusement, c’est prêt, délicieux, et revigorant. En route. Sur le chemin qui descend du village vers la rivière, nous trouvons Erythrina arborescens, d’un beau rouge brillant, Castanopsis tribuloïdes, et Ardisia macrocarpa, arbuste à la belle floraison rose. Nous nous arrêtons dans un lodge, et lorgnons de beaux poulets, élevés à la dure, c’est visible. L’appétit venant, nous essayons d’en négocier un pour ce midi. 600 roupies, ce qui fait l’équivalent de 60 francs français, faites le calcul en euros, ce qui en valeur locale fait le poulet à 600 francs. Même le chapon bressan, écouillé main et nourri à la bouche n’a jamais atteint ces prix ! Nous nous rabattrons donc sur un menu local plus traditionnel, c’est-à-dire la soupe à l’ail.
Nous rattrapons la Langtang khola (rivière). Nous sommes ici à une altitude d’environ 1950 mètres. De grandes euphorbes arbustives colonisent le versant exposé au sud, poussant dans un sol très drainant. Il s’agit de Euphorbia royleana. Nous avons la chance d’admirer les dernières fleurs de Schima wallichii, superbe théacée atteignant 25 mètres de hauteur, dans les zones les plus basses. En montant, nous rejoignons des zones herbeuses, où nous trouvons Notholirion macrophyllum, liliacée au coloris variant du rose au violet qui nous accompagnera sur tous les chemins d’altitude jusqu’à 4000 mètres. En parties ombragées et fraîches, la grande Impatiens urticifolia et Clematis buchananiana.
Ça grimpe terriblement. Nous voici arrivé à Lama hôtel, 2340 m, bien installés devant le rakshi maison, meilleur que la veille, qui avait franchement passé la date limite de consommation. Nous faisons l’identification des végétaux ramassés en cours de route, grâce à nos connaissances, confortées par les bouquins de Pilgrim. Nous identifions deux plantes grâce aux noms communs tibétains, que nos hôtes connaissent.
Les drapeaux tibétains flottent au vent, tandis que la Langtang khola déverse des dizaines de mètres cubes seconde fournies par la mousson et la fonte des neiges. Renseignement Bijay : 6000 mm d’eau tombent par an dans le coin. Nous discutons avant de passer à table. Dal bhat pour tout le monde. L’ancêtre mange dans un coin par terre dans la petite salle surchauffée. Il y a deux poêles ici. Un dans la salle à manger, et le gros fourneau de terre dans la cuisine. Deux jeunes femmes portent le costume traditionnel, un gros collier d’ambre et de pierres précieuses. Une des deux mange aussi par terre. Ni cuillère ni fourchette. J’ai essayé en montant à Dunche de manger le dal bhat avec la main, ça s’apprend vite. Autre détail : nous avons été attaqués par d’horribles sangsues qui descendent sur les mollets et les jambes et vous pompent le sang sans que vous ne vous en aperceviez. J’en ai même trouvé une petite dernière sur ma main à l’arrivée. Nous avons rencontré en chemin un porteur qui venait de Syabru Besi avec pas moins de 50 kg de marchandises diverses pour un lodge de Lama Hotel. Le gars ne marchait pas trop vite, mais ça peut se comprendre, le chemin monte tout le temps, et il avait sur le dos plus que son propre poids !
Pas de lodge sans boutique. Eau, piles, PQ, biscuits, confitures…
— 11 juillet —
La piste continue bien sûr, plus dégagée, nous voici dans les 3000 mètres. Check point à Ghoratabela, gardé par les militaires. Très beaux Polygonatum cirrhifolium, Thalictrum virgatum, Geranium refractum aux fleurs blanches et Pedicularis megalantha. Arrivée sans encombre dans l’après midi à Langtang, à la Langtang Budha Guest House, tenue par Pasang Tamang qui possède 2 lodges.
Après la pause identification de végétaux, la discussion arrive sur l’économie locale. 1 lodge coûte 1 million de roupies. Le chiffre d’affaire annuel (quand il y a des touristes, car actuellement la fréquentation est tombée à 25 % d’une année normale) est de 500 000 roupies, auquel il faut retirer : salaires, frais de portage car tout vient à dos d’homme, nourriture, carburants, bois.
Didier, qui avait acheté des cigares cubains au duty-free de Roissy, offre la tournée générale aux porteurs, au guide et à notre hôte. Admiration unanime, c’est la première fois qu’ils en voient. Le lendemain, un des porteurs, pourtant habitué à des productions plus locales, nous dira que le cigare, ça prend la gorge et ça fait tourner la tête !
— 12 juillet —
Départ de Langtang à 8 h 10 pour Kyanjin Gumpa où nous arrivons à 13 heures, complètement crevés. Sur la route, de grands Meconopsis paniculata ponctuent de jaune clair les rochers, tandis que Primula sikkimensis vit les pieds dans l’eau du torrent. Nous avons traversé des zones boisées de rhododendrons et de Zanthoxylum nepalense. Très proche du poivre du Setchouan, il en a les mêmes propriétés. Les baies sont utilisées en pickles et le bois sert à se laver les dents. Je mange quelques baies fraîches. C’est curieux, piquant, et les tissus de la bouche sont anesthésiés avec un besoin de saliver intense. Beaucoup de gens sont en train de monter au village, car dans quelques jours, c’est la pleine lune, et tout le monde va faire la fête pendant une semaine. Les uns portent boissons et nourriture sur le dos ou dans des hottes, tandis que d’autres transportent couvertures et bois de chauffage. Quelques chevaux et yacks ont aussi leur fardeau.
Après le repas et une heure de sieste, je me dirige avec Didier vers la Gompa, le petit monastère accroché dans le haut du village sur les premiers contreforts de la montagne. Plus personne. Les deux vieux lamas sont morts. La toiture est mal en point, l’herbe pousse dans la courette, et le petit temple est fermé. Nous redescendons à la fromagerie qui transforme le lait des yacks et des vaches de la vallée. Celle-ci a été installée par un organisme d’aide international Suisse. Là est fabriqué un gros fromage ressemblant au gruyère. Le responsable ne veut pas nous en vendre, car ce n’est pas la pleine saison touristique, et il n’en a plus d’entamé. Nous continuons le tour du village (une vingtaine de maisons) et retrouvons l’équipe Bijaya 1 et 2 et Ganesh en train de boire du rakshi, alcool léger fabriqué à base de millet. Nous sommes également invités à boire et à manger des gâteaux frits. Les gens rencontrés sur la piste sont déjà installés, tandis que d’autres continuent d’arriver et de s’installer dans de vieilles maisons abandonnées. Quelques grandes cannes de bambou sont couvertes d’une bâche plastique qui remplace les antiques nattes de bambou tressé.
Deux boutiques sont ouvertes. Des jeunes jouent au billard avec des palets ronds sur une vieille table. Dans une des échoppes, il y a du thé tibétain en briques compressées.
Le soir, nous assistons au retour des yacks. Les enfants sont allés les chercher dans la montagne et les troupeaux rentrent paisiblement pour la traite, les veaux sous l’œil attentif des mères.
Nous retrouvons un homme avec qui nous avions passé la soirée à Langtang, qui nous informe sur la vie économique locale. La fromagerie appartient à l’état. 15 ouvriers dont 1 manager y fabriquent des boules de fromage de 20 à 25 kg qui se vendent à 500 roupies le kilo. Salaire moyen au Népal : 300 roupies par jour. Le lait est payé 20 roupies par litre aux agriculteurs et un yack donne 1,5 litre de lait par jour. Sachant que chaque famille possède 10 à 12 yacks, faites le compte, vous verrez que ça ne rend pas riche ! Ce type de fromage n’est pas traditionnel ici. La vente s’effectue auprès des trekkeurs et surtout des lodges qui le proposent dans beaucoup de préparations culinaires.
— 13 juillet —
Je me réveille vers 5 heures. Grande surprise : lever de soleil sur le Langtang Lirung et toutes les montagnes des alentours. Une merveille de revoir tous ces sommets dans un ciel bleu. Les hautes montagnes qui nous entourent ne peuvent être vues que très tôt le matin, au lever du soleil, quand les brumes et nuages de mousson n’ont pas encore remonté les vallées. Le grand glacier, maintenant visible, est un peu sale. Beaucoup d’eau dévale des sommets. La haute vallée de la Langtang khola est inondée, et il y a eu un grand glissement de terrain sur un versant.
Ce matin, Bijaya a pu avoir la clé du temple, vieux bâtiment de 400 ans contenant de magnifiques fresques murales polychromes. Après la visite, nous allons redescendre la vallée du Langtang, jusqu’à Syabru, pour repartir sur une autre vallée. Tout doucement, car il y a certainement plein de plantes que nous n’avons pas vues en montant ! Nous trouvons un beau trèfle nain violet foncé : Guedenstaedtia himalaica, Salix calyculata avec ses chatons rouges foncés, Ephedra gerardiana et deux genevriers au port prostré : Juniperus squamata et J. recurva. Au bout d’une demi-heure, Didier trouve un groupe de Cypripedium himalaicum. Pure merveille de 15 cm de hauteur avec sa grosse fleur en chausson rose. Une trentaine de jeunes plantes sont là tout autour pour l’avenir !
C’est vraiment un grand moment pour moi de voir ces plantes qui poussent sur le haut d’une petite crête, entourées de sous arbrisseaux nanifiés par le vent et le froid d’hiver. Nous sommes à 3800 mètres.
La descente se continue. Nous traversons un petit hameau. Les provisions de combustible pour l’hiver se préparent : Betula utilis et galettes de bouse de yack qui sèchent, aplaties sur les murs des maisons. Nous suivons le torrent vers le village, où nous déjeunons. Nous n’en repartirons que demain matin après s’être bien reposés et avoir fait un peu de lessive.
— 14 juillet —
C’est la meilleure nuit depuis longtemps Et pour commencer la journée, milk tea et chapati omelette. Dans la nuit, la pluie a commencé très fort, et continue à présent, plus atténuée, mais il va falloir sortir le ciré.
Dans un talus humide pousse le petit Typhonium diversifolium, avec sa spathe rouge marron foncé, appartenant à la grande famille des aracées himalayennes. Tout au long de notre périple, et à différentes altitudes, nous pourrons observer Arisaema concinnum, speciosum, jacquemontii, nepenthoides, erubescens. Nous arrivons à Goratabela à 13h30 où nous attendons très longtemps que le cuistot, visiblement peu expérimenté, nous prépare le déjeuner. Ensuite, malgré la pluie battante, je pars vers la rivière, que nous surplombons de 30 mètres à cet endroit. Dans le bas, sur la rive, il y a un câble pour transporter corps et biens de l’autre côté. Avec la mousson, la rivière est en crue, et passe à moins de 1 mètre sous les câbles. Dans une pâture abandonnée et très humide poussent Philadelphus tomentosus, Strobilanthes atropurpureus et deux orchidées : Goodyera fusca aux fleurs vertes que je pourrai voir en de nombreuses places, et plus rare, mais ici en colonie importante Habenaria pectinata, aux grandes fleurs blanches et au labelle lacinié.
Didier et Annie me rejoignent, et après avoir fait quelques récoltes de branches, nous rentrons au lodge. Jour de fête oblige, nous nous servons un Coca. Celui-ci doit être sur les étagères depuis déjà pas mal de temps. Il a une couleur vraiment pâle, et ne mousse plus du tout au débouchage. Le tenancier n’a pas vraiment envie de s’occuper de nous et il se tire en cheval faire la fête à Kyanjin Gumpa, en nous laissant nous débrouiller pour la tambouille de ce soir. Ce sera donc Dal bhat pour tout le monde. Nous descendons au potager pour les légumes. Il y a de l’ail et des oignons, mais rien pour faire de la verdure, aussi voulons nous essayer Fagopyrum esculentum en guise d’épinards mais les porteurs ne sont pas d’accord. La soirée se termine par un punch au rhum local et sirop de citron.
— 15 juillet —
Dure nuit ! Les lérots ou les rats ont galopé toute la nuit au-dessus de nos têtes. Et il a encore énormément plu.
Le tenancier redescend de la fête à cheval et essaye de nous faire payer des boissons que nous n’avons pas bues ! C’est du style mauvais coucheur, aussi ne nous attardons-nous pas. Nous repartons tranquillement vers Bamboo où nous prenons un thé. La pluie s’est arrêtée, et malgré le brouillard qui empêche de voir à plus de 50 mètres, la lumière est bonne pour les photos. Ganesh s’amuse à nous voir ramasser des morceaux de branches à identifier, et rajoute les siens en se marrant. Dans la forêt, nous entendons du tumulte. C’est un groupe de grands singes qui font leur vie, les mamans avec les petits sur le dos, les deux ou trois mâles tranquillement installés sur des branches fourchues. Ils ne s’inquiètent pas trop de notre présence, et nous laissent le temps de bien les observer.
13 heures. Nous voilà de retour à Lama Hotel. Au menu du jour, mix chowmein, soupe à l’ail et tchang. Nous sommes sur le bord de la rivière dans le lodge surchauffé et la porte ouverte. Les 2 Bijay et Ganesh mangent leur dal bhat quotidien dans la cuisine de planches disjointes, noircies et enfumées par le fourneau. La radio diffuse en grésillant de la soap music indienne. Le patron est habillé à l’européenne, ainsi que les autres hommes qui passent, alors que toutes les femmes conservent leur costume traditionnel tibétain, beaucoup plus élégant. Un petit bébé tout souriant est sur le dos de sa mère. Le poêle au milieu de la pièce est en tôle soudée est recouvert d’un ciment réfractaire de couleur argile. Le fourneau de la cuisine a été refait. Il paraît tout neuf avec les deux trous pour les petites casseroles et le troisième pour la grosse casserole qui contient de l’eau chaude en permanence. Deux types arrivent. Ni bonjour ni rien. Ils commandent de l’eau en bouteille, ce qui est peu banal pour des Népalais.
Nous repartons sous la pluie. Bijay annonce qu’il faudra s’arrêter dès qu’on trouvera un lodge, car celui qui était prévu est fermé pour cause de festival plus haut. Comme nous redescendons dans la vallée, la température monte. Les sangsues aussi. La marche ne sera pas longue. Nous nous arrêtons au bout d’une heure. Beau petit lodge appuyé sur un flanc de montagne, avec douche chaude solaire, qui fonctionne. Cela va nous laisser du temps pour les identifications. Hedera nepalensis, Leucosceptrum canum pour les principaux. Nous laissons la hotte de collecte dehors, car elle est bourrée de petites bêtes. Le déluge recommence. Derrière le lodge, peut-être un hectare de cannabis qui paraît sauvage et se ressemer d’année en année. Je pense que c’est pour filer, ça fait de beaux vêtements, solides. De l’autre côté de la vallée, nous apercevons très bien de gros nids d’abeilles accrochés à la falaise. C’est un métier qui paye bien que d’aller récupérer le miel…
Dès qu’il y a une éclaircie, nous pouvons voir au loin le village de Syabru, notre prochaine étape. Les jeunes tapent le carton, leur sport favori, mais pourtant fermement déconseillé par les maoïstes. Nos hôtes nous indiquent quelques noms en tibétain. Ils connaissent assez bien la flore locale, et la dame retrouve dans la flore de Polunin tout son environnement végétal !
Dehors, toujours, la mousson redouble alors que nous finissons notre repas d’une bonne soupe et d’excellentes pommes de terre de montagne. Ce lodge est étonnement bien tenu. C’est pas marqué dans le Guide du Routard, parce qu’ils ne connaissent pas, vu que leur spécialité, c’est plutôt les bistrots de ville. Il y a donc douche solaire, mais aussi électricité solaire 12 volts, trois autocuiseurs, et une cuisine bien rangée et sans fumée. C’est la première fois qu’il y a tout ça à la fois, et ça s’appelle Ganesh View Lodge !
Suite et fin de cette aventure
au prochain numéro !
— 16 juillet —
Je me réveille vers 6 heures. Tout est calme ce matin, à part la rivière qui charrie d’énormes quantités d’eau. Le ciel est gris et nuageux, mais le plafond est haut. Bonne vue sur la vallée et Syabru. Nous devons redescendre tout en bas de la vallée et remonter en face pour reprendre la vallée de la rivière Trisuli. Plus de six heures de marche, il n’y aura pas beaucoup de temps pour la végétation. De plus Bijay nous a promis beaucoup de sangsues.
Nous descendons toujours en longeant la rivière, parmi des Leucosceptrum et quelques Erythrina arborescens. De magnifiques Michelia kisopa, grands arbres de la famille des Magnolias. Pour les sangsues, le pronostic était bon. Après l’arrivée au village à 2200 mètres, par une grande côte épuisante, et juste avant une bonne douche chaude, c’est la chasse. Sur les jambes, dans le cou, même au fond des chaussures, repues, et grassouillettes, elles se sont laissé tomber…
Maintenant, heureux d’être arrivés, nous décidons que c’est l’heure de la bière. Une bonne presque fraîche, dans une bouteille de 65 cl, Tuborg brassée dans le sud du Népal. Ce soir, nos amis népalais ont un repas spécial, car demain commence le mois de Saun. Ils espèrent que la mousson, donc que les choses iront mieux : moins de glissements de terrain et moins de maisons détruites. Notre hôte, le Lama, allume un feu sur la terrasse, bientôt suivi d’autres feux dans tout le village, pour fêter ce nouveau mois. Tous crient des formules rituelles pendant qu’il jette de grands tisons dans le vide. Dans la maison, une femme prostrée dans un fauteuil semble malade. C’est la sœur du Lama. Renseignement pris, c’est d’ordre psychologique. Son mari l’a laissée il y a cinq-six ans et s’est remis avec une autre femme.
— 17 juillet —
Visite de la chambre du Lama, qui lui sert de gompa. Il me montre ses instruments, cymbales, tambours, vases etc., des photos avec les dignitaires des gompas des alentours, et il me parle du yeti qui tourne sur la région de Gosaïkund, et que son père a vu une nuit où il dormait seul dans la montagne. Le petit-déjeuner est pris, et nous nouspréparons à rejoindre justement cette région. C’est encore une dure montée de quatre heures qui nous attend. Nous ne nous arrêtons qu’une seule fois, car il y a très peu d’habitations sur cette portion de piste.
Nous prenons le thé dans une petite ferme. Une charrue en bois avec une petite pointe d’acier à son extrémité attend dans la cour. Du grain sèche sur une natte de bambou. Une belle fontaine répand son eau dans un tronc creusé. Trois femmes s’affairent pendant que quelques marmots se chamaillent. Autour de la ferme, un petit verger de pommiers, et un potager assez grand avec comme toujours le trio pomme de terres, oignons, ail, plus quelques choux. Bijaya me dit que les agriculteurs locaux ne cultivent pas de pommiers trop loin de leurs habitations, car des troupes de singes viennent souvent dévaster les récoltes. Nous arrivons pour le déjeuner à Dursagang à 2700 mètres, très beau lieu sur une crête. Soupe d’ail, crêpes aux pommes, petites et vertes suivies de curd de yack, avant de repartir sous la pluie et l’orage pour Sin Gompa. Nous traversons une zone peuplée de gros rhododendrons barbatum, remarquables par leur tronc rougeâtre se desquamant, accompagnés de Acer acuminatum, suivie par une grande forêt d’Abies spectabilis atteignant les 40 mètres.
Arrivée au village, moins de dix maisons autour du temple. Nous logeons dans un grand lodge très confortable et bien équipé. Dans la cuisine, des kilos de champignons sont en attente de préparation. D’autres sèchent déjà, coupés en morceaux, étalés sur un van. Pour mon repas du soir, c’est déjà tout choisi, ce sera soupe, et chowmein de champignons. Je me dirige vers la gompa, qui est fermée. Sous l’auvent, un gars tisse une grande natte en bambou. Il fabrique aussi des hottes de portage. Je lui en commande une, dont je prendrai possession sur le chemin du retour. La nuit tombe à 6 h 30. Les batteries alimentées par les cellules photo-voltaïques éclairent assez faiblement. C’est une bonne raison pour se coucher tôt, après un peu de lecture dans la grande salle.
— 18 juillet —
Réveil tôt, au lever du jour. L’horizon est bouché, l’eau presque tiède.
Je descends à la fabrique de fromage. Très propre, et beaucoup mieux tenue que celle que nous avons vue à Kyanjin Gumpa. J’achète une livre de fromage. L’équipe est en train de fabriquer le beurre, avec le lait apporté la veille des montagnes. Il sera ensuite emballé par kilo dans du papier sulfurisé.
Après le thé au lait, nous partons vers Lauribinak. La montée, assez difficile mais plutôt courte, nous permet de rencontrer de nouvelles plantes. Rhododendron lepidotum, Phlomis bracteosa et Meconopsis lyrata en étant les plus beaux représentants. Nous voici arrivés, et la température est nettement plus fraîche à 3900 mètres. L’identification des végétaux se fera donc au coin du feu, dans un lodge qui vient juste d’être réouvert par son propriétaire. Malgré le mauvais temps, je sors avec Didier pour voir la végétation aux alentours. Nous rentrons très vite, après avoir observé Sorbus microphylla émergeants des Rhododendrons buissonnants.
Rien de particulier à signaler, si ce n’est que les œufs n’étaient pas frais et le cuistot pas terrible.
— 19 juillet —
5h30. Réveil. C’est une chance inouïe à cette saison que d’avoir la vue sur une grande partie de la chaîne. De gauche à droite, vous avez devant vous les Annapurnas, le Manaslu, le Ganesh Himal , une vue sur le Tibet, et le Langtang. Tous les sommets sont couverts de neige, dans un ciel bleu roi. Imaginez la scène…
Le propriétaire du lodge a gentiment arrangé quelques massifs sur le devant, avec des Primulas sikkimensis, Œillets d’Inde, et je découvre au milieu de tout cela un Meconopsis bleu. C’est l’espèce simplicifolia, avec des feuilles très étroites, et qui a été ramassé en lisière de la forêt que nous avons traversé la veille.
7 h 30 : les brumes remontent les vallées par couches successives. Bientôt, seul les sommets du Manaslu et du Ganesh Himal restent visibles. Le petit-déjeuner pris, nous reprenons la piste. Sans plus aucune visibilité sur les montagnes. Nous montons d’abord au milieu de fermes d’alpages, aux rudes conditions de vie. Les yacks et les vaches entourées de leurs veaux attendent la traite, après avoir été ramenés des alpages par les enfants.
La végétation décroît fortement dès que nous montons. Nous voilà arrivés en zone alpine pure. Nous longeons des huttes de pierre sans toiture, qui servent de haltes, dortoir et restaurant, pour les pèlerins se rendant aux lacs de Gosaïkund. Ces huttes seront alors pourvues de lattes de bambou et recouvertes de bâches par des boutiquiers servant thé et nourriture. Le grand pèlerinage a lieu au mois d’août à la pleine lune. Des milliers de pèlerins accourent de toute l’Inde et du Népal et verront dans les pierres reposant au fond du lac, le corps de Shiva, Dieu Créateur.
Là encore, la montée est rude, et nous l’adoucirons en faisant de nombreuses et intéressantes haltes botaniques. Les prairies sont couvertes de Potentilla coriandrifolia blanches avec leur cœur rouge foncé presque noir, mêlées aux Primula pusilla violet foncé, tandis que les Potentilla peduncularis au feuillage duveteux ornent les bases de falaises et les zones les plus rocheuses.
Nous arrivons au lodge après une magnifique vue sur le premier lac, dont l’eau paraît noire. Cette habitation est bien agencée, avec des parements muraux de nattes en bambou, et les bancs adossés aux murs qui servent de lit. Il commence à pleuvoir. Dans la cuisine, la patronne et son aide s’affairent. Le fourneau à pétrole ronfle, le poêle à bois commence à chauffer. Voici la soupe qui arrive, excellente, nutritive, suivie de pommes de terre grillées aux champignons, suivies d’un curd. Tout est très bon. De la viande de chèvre en lambeaux sèche au-dessus du feu. Coupés en petits morceaux, ils accompagneront un dal-bhat au curry accompagné de rakshi. Les trois Népalais ont trouvé un compagnon pour jouer aux cartes. C’est un gars qui doit monter s’occuper de ses bêtes plus haut, et que nous retrouverons au même endroit six heures plus tard !
Pendant qu’Annie va faire une petite sieste, je pars avec Didier faire le tour du lac, dans la grisaille et la pluie. Beaucoup de monuments à Shiva ornent le côté sud, simples empilements de pierres ou lingams. Là encore, nous sommes comblés par la végétation environnante. Un petit Corydalis cashmeriana se tient dans l’ombre humide d’un gros rocher. Plus loin, pousse une étrange labiée, balle de coton dans l’herbe rase, feuilles et bractées entièrement recouvertes de longs poils soyeux. C’est un Eriophyton wallichii. Une remarquable valérianacée, Nardostachys grandiflora, dont les feuilles sèches sont utilisées comme encens sera identifiée grâce à notre hôtesse qui s’intéresse beaucoup à ‘Flowers of the Himalaya’ du regretté Oleg Polunin. Notre hôtesse porte un gros collier d’ambre et de pierres, ainsi que des boucles d’oreilles vraiment remarquables. Ces 36 grammes d’or coulés à Patan, dans la vallée de Katmandou, sont le cadeau que chaque fiancé offre à sa promise avant le mariage. La soirée se termine par une discussion sur la scolarité au Népal. Nos hôtes souhaiteraient que nous parrainions leurs deux garçons à l’école privée, qui est meilleure que l’école gouvernementale, mais qui est très chère pour ces gens qui ont peu de moyens et guère de liquidités. En fait, l’école publique est très mal en point. Les instituteurs ne veulent pas aller dans les régions montagneuses, qui constituent pourtant la majeure partie du pays. Sur le mur du lodge est collé un vieux journal en couleur avec la photo de Jospin. Très défraîchi.
— 20 juillet —
Nous allons maintenant prendre le chemin du retour. Petit-déjeuner à 7 h 30. La pluie battante qui est tombée toute la nuit va nous accompagner pratiquement jusqu’à Sin Gompa où nous arrivons à 11 h 30, pour la maintenant traditionnelle soupe aux champignons. Difficile de se passer des bonnes choses…Nous nous rendons à la fromagerie, pour quelques emplettes. Bien emballé, le fromage de yack tiendra jusqu’à Bergerac ! Ensuite, visite à la gompa, pour admirer les fresques murales à la lampe de poche et essayer de les photographier au flash. Retour au coin du feu et pop corn pendant l’identification des végétaux. Primulas, Impatiens et Géranium Après le repas du soir, soirée télé, en 12 volts. Infos nationales qui passent sans honte aucune une grasse pommade, puis un petit festival de chansons cocardières, tout cela coupé de nombreuses pubs. Ensuite, franche rigolade dans l’assistance lorsque apparaissent le roi et la reine, en voyage en Chine. Autant l’on peut dire qu’il y avait du respect pour l’ancien Roi assassiné, autant il y a du mépris pour le nouveau venu.
— 21 juillet —
Réveil à 5 h 30. Après la soupe de nouilles, nous allons prendre livraison des 2 hottes de transport, doka en népali. Elles paraissent solides.
Nous partons maintenant directement pour Dunche. Nous allons descendre dans la forêt pendant 3 heures avant de rejoindre la rivière Trisuli. Et encore une heure de marche pour arriver au village par-derrière l’usine coréenne d’embouteillage d’eau de source à la marque Himalaya !
Après s’être habitué à la montagne, ce gros bourg de 2000 habitants fait vraiment “ville”. D’abord un petit bidonville, avec sa population la plus misérable, puis les échoppes d’artisans, et les commerces. Les mangues et les petites bananes que nous achetons là sont bien agréables. Dans l’unique rue, beaucoup de jeunes en habits de dimanche déambulent en groupes de garçons ou de filles. Renseignement pris, c’est jour d’examen, et ils sont tous descendus des environs.
Nous entamons l’identification des végétaux récoltés entre Sin Gumpa et Dunche. Aralia cashmerica, Clematis buchananiana, Pennisetum flacidum… Repas du soir composé de poulet chili et riz blanc.
Nous partirons demain matin avec le même 4x4 qu’au départ. Il n’y a pas eu de glissement de terrain pendant ces quinze derniers jours, ce qui est étonnant en cette époque de mousson spécialement pluvieuse.
— 22 juillet —
5 heures, et déjà réveillé. D’abord, il y a eu les cloches de la Gumpa, puis les meutes de chiens dans la rue, puis les habitants. 6 heures, tout le monde est debout, et le premier car est déjà parti. 6 h 30, et c’est la déambulation ordinaire et soutenue qui a repris cours. 8 h 30, pas de voiture. Nous partons à pied vers le ‘landslide’, c’est-à-dire le glissement de terrain permanent dont on ne parle même plus, qui est franchissable par temps sec avec l’aide d’une pelle mécanique, et infranchissable à la mousson. Peut-être nous attend il-là, à 10 km. A la sortie du village, contrôle militaire habituel, un peu pointu, par des militaires sur le qui vive.
A moitié chemin, nous faisons du bus-stop, bondé comme d’habitude et qui nous laisse à l’arrêt obligatoire du glissement de terrain. Là, pas plus de 4x4 qu’à Dunche. Profitant de l’opportunité offerte par les intempéries, des boutiques-restaurant se sont installées ici, de manière très sommaire. Tôles ondulées pour les plus riches, bâches plastiques pour les autres, abritent quelques tables, bancs et fourneaux. Là, les voyageurs et les marchandises attendent le transbordement dans un autre bus pour la deuxième partie du voyage, autour d’un thé et d’une galette légèrement sucrée. Dal bhat et soupes express chinoises sont aussi au menu.
Nous nous installons dans la dernière des cabanes, et visiblement la plus mal lotie. C’est une petite tente composée de quelques mauvaises perches et de pauvres feuilles de plastiques, tout cela mal ficelé. Une jeune femme, toute jeune avec déjà deux gamins, tient les lieux. Elle propose aux voyageurs des pommes de terre au curry, des galettes, des bonbons pour la gorge, cigarettes à l’unité et tout un tas de petits trucs inimaginables. J’ai le stock de patates sous les pieds, sous la table. Pendant ce jour, nous aurons eu tous les gamins des environs en visite, et pratiquement tous les clients des autres établissements venus voir les trois blancs. Et la pluie de mousson qui redouble, interminable. Quatre cars se succéderont dans la journée apportant leur cargaison de voyageurs, poulets en vrac, un gros négociant avec de nombreuses caisses de marchandises diverses qui distribue aussitôt tout cela à 7 ou 8 porteurs qui se bousculent pour avoir le boulot. Et notre voiture qui n’arrive toujours pas.
Le ciel s’obscurcit lentement. Nous nous attendons à dormir sur place, au mieux dans le dernier bus, au pire sur la table et les bancs dans la cabane, quand arrive le 4 x 4. C’est avec un soulagement certain que nous prenons la route pour Katmandou, longue, lente et sous une pluie battante. Mais les ennuis ne sont pas finis…
Au bout de 3 heures de route, les phares et les essuie-glaces ne fonctionnent plus, et quand il ne pleut pas, c’est le brouillard qui prend la relève. Un camion nous guide dans la nuit. Tout se passe bien jusqu’environ 25 km de Katmandou, où un glissement de terrain nous barre la route. Impossible de passer, trop de terre et de rochers, et impossible de passer par-dessus, la pente paraît instable et nous sommes dans le noir. Nous faisons demi-tour et revenons au dernier village traversé. Le poste de police à l’entrée est vide. La nuit, ils préfèrent laisser les lieux vides et dormir ailleurs. Les Maos aiment bien les saigner la nuit. Tout le monde est couché depuis longtemps. Le chauffeur donne de grands coups de klaxon devant une auberge, mais les propriétaires n’ont visiblement pas envie de se remettre au boulot, et personne ne bouge.
Succès à la deuxième auberge. La patronne se lève et nous ouvre. Le patron roupille sur la table, et se réveille plus difficilement, mais de toute façon, c’est la dame qui se remet à la cuisine. Dal bhat succulent. Après le repas, le patron nous emmène deux maisons plus loin dans un bâtiment paraissant abandonné, mais qui comporte quelques petites chambres, deux lits par chambrettes. Nous sortons vite les couvertures, pas de première fraîcheur, pour étaler nos duvets directement sur la natte de paille de riz. Les lits sont courts, à la taille du Népali moyen, et je dépasse des deux côtés. Malheureusement, il y a un bord de chaque côté, et la position en chien de fusil me permettra de dormir quelques bonnes heures.
— 23 juillet —
Excellente nuit, malgré les petits inconvénients décrits plus haut, et sans bestioles indésirables.
Le lever s’accomplit calmement, car de toute façon, dans le meilleur des cas, les ouvriers ne travailleront au landslide qu’à partir de 9 heures. Nous reprenons la route après un thé au lait. Nous faisons quelques kilomètres sans urgence, histoire de voir si ça tient sur les côtés, arrêt obligatoire au Check point, où les militaires nous disent d’attendre, car l’engin de déblaiement doit venir de Katmandou, et des files de bus l’empêchent de monter. Le chauffeur passe un coup de fil, pour nous apprendre que nous ne sommes pas sur une route prioritaire. Nous nous installons donc dans une nouvelle attente, indéterminée. Le temps va se partager entre du repos dans la voiture, et la visite des boutiques du coin. Il y a quelques minuscules boutiques, et un gros commerçant, avec magasin de 6 m sur 6, et deux volets métalliques roulants. Chez lui, il y a du riz, des épices, de l’encens, des nouilles, du pétrole lampant, de l’huile de moutarde, de l’huile pour les véhicules, au litre, des bottes, tongs, lentilles, pois chiches, cumin, piments frais et secs…
Nous connaissons maintenant bien le village. Les premiers cars de Trisuli commencent à arriver et se garent en attendant que la route soit libre. Il y avait un seul glissement hier soir. Ce matin, il y en a cinq à 9 h 30. Il n’y a guère d’espoir que cette route se libère rapidement, aussi décidons-nous de continuer la route à pied, en traversant les glissements de terrain. Nous en trouverons sept avant de retrouver un véhicule pour Katmandou. Certains terribles, ayant emporté maisons et habitants. Les gens habitués à l’incurie chronique gouvernementale se mettent au travail avec quelques pelles. Il faudra certainement des mois pour tout remettre en état. Par endroit, des militaires sont là, non pas pour aider la population, mais dans l’attente d’hypothétiques guérilleros qui viendraient aider le peuple, et qu’ils pourraient tirer facilement. Ailleurs, un petit tracto-pelle essaie vainement de soulever une montagne. Toute l’économie est bloquée. Les gens errent sur les tronçons libres de la route, impuissants devant un tel déchaînement de la nature certes, mais grandement aggravé par la déforestation et les cultures en terrasses qui suivent. Après une quinzaine de km, nous trouvons un minibus qui peut nous ramener à Katmandou. C’est le retour à la ville, une des plus polluée du monde, car étant dans une cuvette, les gaz des industries, habitations et véhicules ne peuvent pas s’en échapper. Nous retrouvons notre hôtel et sa douche, solaire là aussi, avec plaisir.
— 24 juillet —
Il nous reste maintenant deux jours avant de prendre l’avion du retour, que nous allons consacrer à la visite de quelques sites intéressants.
Nous partons au grand stupa de Bodnath. Il est encore tôt, et les pèlerins s’activent tout autour. Certains font le tour du stupa en s’allongeant par terre, d’autres récitent les prières en faisant tourner les moulins du pourtour. Les magasins ne sont pas encore ouverts, seuls les commerçants ambulants proposent le matériel nécessaire aux rites : encens, katas, qui sont les étoles à offrir aux lamas ou aux divinités quand on les visite, drapeaux tibétains, chapelets. Des vendeurs sollicitent les passants pour allumer des petites lampes à huile sur tout le parcours. Elles brûlent en grand nombre. Après avoir suivi la foule des pèlerins, nous prenons un thé sur une des terrasses qui surplombent le site. C’est un lieu magnifique à la fois grouillant d’activité et serein, empreint d’